Entretien avec Dr. Lucica Ditiu, Directrice exécutive du Partenariat Stop TB, est une docteur roumaine, professionnelle accomplie et leader dans le combat contre la tuberculose et autres maladies transmissibles. Animée par la conviction que nous ne devrions “laisser personne de côté”, Dr. Ditiu, est l’une des plus ferventes défenseures de la lutte contre la tuberculose au sein de la communauté internationale. Croyant fermement en l’innovation, la flexibilité, le changement, ainsi qu’à la nécessité de déroger aux règles et de penser hors du cadre, Dr. Ditiu se consacre à l’adoption d’engagements politiques pour accélérer les efforts globaux pour mettre fin à la tuberculose.
1. Aujourd’hui, quels sont les principaux manques, besoins et défis concernant le combat contre la TB dans le monde ? Selon vous, quels changements sont nécessaires pour pouvoir mettre un terme à la tuberculose d’ici 2030 ?
Deux éléments sont nécessaires dans le combat contre la tuberculose : un leadership politique et des financements suffisants. Les leaders politiques et parties prenantes clés doivent mieux comprendre notre situation face à cette maladie mais aussi les opportunités qui s’offrent actuellement à nous pour pouvoir y mettre fin. Il s’agit de donner de la visibilité à cet enjeu et de maintenir la tuberculose au cœur des priorités à l’échelle globale, régionale et nationale. D’autre part, les financements pour lutter contre la tuberculose sont dramatiquement bas, ce qui entraîne des lacunes considérables à la fois aux niveaux de mise en œuvre mais aussi de la recherche et du développement (R&D). Je rajouterais même un troisième point, la mobilisation des survivants de la tuberculose, la société civile et les communautés dans la réponse à la maladie. Nous avons fait des progrès, mais davantage doit être fait pour qu’ils soient sérieusement et correctement impliqués et pour accroître la sensibilisation, développer des programmes, mettre en œuvre des activités mais également surveiller ce qu’il se passe.
2. Dans quelle mesure renforcer le soutien international en faveur de la R&D est important pour faire avancer le combat ?
Nous sommes à un moment crucial de la lutte contre la tuberculose, à un point d’inflexion : beaucoup d’opportunités existent en matière de R&D et nous ne devons surtout pas les laisser passer. En ce moment, beaucoup est fait dans le domaine des diagnostics, avec un éventail intéressant d’outils de diagnostics à l’étude. Certains d’entre eux sont en phase initiale de recherche, d’autres sont déjà plus avancés avec l’objectif d’obtenir des autotests qui peuvent être réalisés et auto-administrés par chacun. L’un de nos rêves serait que les patients puissent obtenir des diagnostics de la maladie et de l’infection sans avoir besoin de passer par un laboratoire. Par ailleurs, des recherches sont également en cours sur les programmes de traitement pour prévenir la maladie ainsi que pour la guérir, l’objectif étant d’obtenir un programme de traitement d’un mois qui pourrait convenir à toutes les formes de tuberculose. De même côté vaccin, on dispose d’au moins 4 vaccins candidats en phase 3 ou en dernière phase d’essai. Il y a donc beaucoup d’énergie déployée en ce moment, à laquelle s’ajoute déjà l’utilisation de technologies digitales et de l’intelligence artificielle. Ce dont nous manquons le plus cependant, et plusieurs rencontres l’ont mentionné durant l’Assemblée mondiale de la santé de 2023, c’est un pipeline de ressources prévisible et robuste. Chaque année, nos collègues du TAG, avec notre soutien, produisent un rapport sur le financement de la R&D. Le financement pour la recherche ne provient que de quelques gros donateurs, à savoir les États-Unis via différents canaux, la fondation Gates, et l’Union européenne ainsi que quelques gouvernements. C’est largement insuffisant. Durant des discussions animées pendant l’AMS, Dr. Tedros a souligné qu’avec seulement une fraction de l’argent consacré à la lutte contre la pandémie de Covid-19, nous pourrions obtenir un vaccin contre la tuberculose. Et il a raison. C’est pourquoi les financements extérieurs sont cruciaux. La France a été aux avant-postes de la R&D pour lutter contre la TB, avec notamment la découverte du BCG ainsi que le déploiement du réseau de l’Institut Pasteur doté d’importantes capacités en R&D. Il est important non seulement d’augmenter les financements, mais également qu’ils soient prévisibles et contribuent à finaliser les dernières étapes des essais cliniques. Certains appellent cette étape « La Vallée de la mort de la phase 3 » car elle est en général très onéreuse bien qu’extrêmement importante.
3. Quel travail effectue votre organisation en R&D dans le domaine de la TB et comment travaillez-vous avec vos partenaires pour faire avancer la R&D de nouveaux outils contre la TB ?
Au partenariat Stop TB, nous faisons différentes choses dans le domaine de la R&D. Nous menons notamment un plaidoyer pour augmenter les financements et développer de nouveaux outils. Ce plaidoyer est effectué par le secrétariat, nos partenaires ainsi qu’avec nos réseaux d’acteurs et d’actrices de la société civile et des communautés au niveau national. Nous avons également un groupe de travail « Nouveaux outils » qui inclut les nouveaux diagnostics, les nouveaux vaccins et les nouveaux traitements. Ce groupe œuvre à assurer une coordination et un alignement sur ce sujet crucial. De plus, nous avons également des discussions avec les Ministres de la santé au sujet des besoins en matière de R&D, le plus récemment avec l’Inde, l’Afrique du Sud et le Brésil. Il s’agit non seulement de mieux les informer des enjeux mais également de leur permettre d’aborder le sujet de manière plus stratégique et mieux coordonnée. S’ils sont désireux d’avancer en ce sens, je pense qu’il y a encore un long chemin à parcourir. Une équipe « TB Reach » est également chargée de déployer de nouveaux outils et de documenter leur impact avec des preuves solides. L’idée est que l’OMS puisse les intégrer dans ses recommandations et directives, comprendre la manière dont ces contenus peuvent être mises en œuvre et collecter des informations de partenaires au niveau pays sur ce qui fonctionne ou non.
4. Depuis le début de votre engagement dans le combat contre la TB, quels ont été les outils novateurs à votre sens et quelles sont vos principales attentes en la matière dans le futur proche qui pourraient nous aider à éradiquer la maladie ?
En matière de nouveaux outils, je pense qu’il existe trois éléments capables de changer la donne : i) le diagnostic moléculaire rapide, particulièrement maintenant qu’il existe plusieurs producteurs qui le fabriquent. ii) Le second est lié au fait que nous disposons maintenant d’un programme de traitement plus court pour la tuberculose sensible et résistante aux médicaments. Je pense que cela offre aussi un espoir de le raccourcir encore davantage. iii) Le troisième est pour moi le rayonX portatif soutenu par de l’intelligence artificielle. Le fait que nous puissions nous rendre dans des communautés avec un simple sac à dos sans avoir besoin de laboratoire ou de docteur change complètement la donne. Vous pouvez le prendre avec vous, accompagné d’une personne avec un GeneXpert, et effectuer surveillance et dépistage en faisant du porte à porte. Avec l’espoir que cette technologie digitale puisse encore aller plus loin, c’est une étape cruciale.
Maintenant, où devons-nous aller ? Qu’est-ce qui serait idéal pour combattre la tuberculose ? L’un des outils auxquels je pense est l’auto-test, avec un tube respiratoire (nos collègues de Toulouse travaillent dessus), un test urinaire ou l’application pour la toux. Le second serait un traitement d’un mois qui serait le même pour la tuberculose sensible et résistante aux médicaments, et qui puisse être effectué avec un patch ou un spray. Le troisième évidemment serait un vaccin, et un vaccin qui fonctionne effectivement. Idéalement, nous avons besoin d’un vaccin qui bloque l’évolution du stade de l’infection à celui de maladie, mais avoir déjà un vaccin qui nous protège de l’infection serait une première étape.
5. Comment les efforts fournis pour renforcer de manière durable les capacités régionales de production peuvent favoriser un accès équitable et abordable aux outils innovants à ceux qui en ont le plus besoin ?
Si vous écoutez des pays comme l’Inde, l’Indonésie, le Brésil, l’Afrique du Sud, le désir est présent de faire davantage et de disposer de capacité de production. Je pense que nous avons besoin d’assurer qu’ils bénéficient d’un siège à la table et soient en mesure de discuter en termes concrets. C’est important qu’on arrive au point où les questions pratiques sont discutées : que pouvons-nous faire ensemble ? Que pouvons-nous transférer ? Peut-on organiser des essais cliniques ? Pouvons-nous organiser le recrutement de patients ?
Beaucoup de choses arrivent actuellement de manière parallèle dans plusieurs pays, avec différents essais. La coordination est quelque chose dont nous discutons beaucoup au secrétariat pour identifier comment faire mieux et plus rapidement. L’une des leçons que nous avons apprises avec le Covid-19, c’est que les choses n’ont pas besoin d’être faites en séquence – à savoir recherche clinique, travail initial en laboratoire, puis phase 1, phase 2, et phase 3. Le Covid-19 a montré qu’il était possible de faire les choses en parallèle. Je pense que les pays peuvent discuter et collaborer, tout en assurant l’avancée de différents processus en parallèle pour être plus rapide.