Entretien avec Justin Vaïsse, fondateur et directeur général, Forum de Paris sur la Paix
1. Sous la présidence française en 2026, le G7 adoptera un format simplifié sans filière santé, malgré l’expérience de la pandémie. Dans un contexte de tensions géopolitiques et de fragilisation de la solidarité, comment le G7 peut-il continuer à promouvoir le développement humain, clé de la stabilité mondiale ?
Le G7 est plus efficace lorsqu’il concentre son capital politique sur un petit nombre de questions qui façonnent la stabilité mondiale à long terme. Et s’il y a une constante dans les relations internationales, que ce soit en temps de coopération ou de confrontation, c’est que les sociétés qui investissent dans le développement humain, en particulier dans leurs enfants, sont plus résilientes, plus cohésives et mieux capables de gérer les chocs mondiaux. L’importance de ce constat ne doit pas être sous-estimée, surtout dans le contexte actuel des coupes dans l’APD. En 2025, on estime que 4,8 millions d’enfants de moins de 5 ans mourront, dont beaucoup de causes évitables. C’est la première fois depuis des décennies que ce chiffre augmente.
Même sans filière santé dédiée, la présidence française du G7 a l’opportunité de mettre en lumière les enfants comme une priorité unificatrice qui transcende les clivages géopolitiques. Le bien-être de l’enfant est une question transversale entre la santé, l’éducation, la nutrition, la protection et le développement psychosocial. Ce n’est pas seulement une préoccupation humanitaire : c’est un investissement stratégique. Une nation qui investit dans ses enfants investit dans sa future main-d’œuvre, la stabilité civique, l’innovation et la cohésion sociale.
À une époque où l’environnement géopolitique est polarisé et la solidarité mise à rude épreuve, le G7 peut encore montrer la voie, en articulant une vision tournée vers l’avenir et centrée sur le capital humain. Dans cet esprit, le Forum de la Paix de Paris a commencé à se rassembler autour d’un Cadre prioritaire pour l’enfance depuis 2024. En ancrant la discussion autour des enfants, universellement reconnus comme une responsabilité partagée, nous créons une plateforme à la fois politiquement réalisable et moralement convaincante. C’est précisément là que le G7 peut reprendre de l’ampleur : en montrant que même dans un monde fragmenté, les grandes puissances peuvent s’entendre pour protéger la prochaine génération.
2. Compte tenu de la nature holistique du bien-être de l’enfant, quelle approche a guidé vos efforts pour proposer et mobiliser le soutien autour de ce Cadre prioritaire pour l’enfance ? Comment avancent les travaux ?
Dès le départ, notre approche a été de construire une coalition à la fois de haut niveau et véritablement multisectorielle. Le Cadre prioritaire pour l’enfance a été conçu, non pas comme une initiative technique, mais comme un processus politique : un processus qui nécessite l’alignement des gouvernements, des organisations internationales, des chercheurs, du secteur privé et de la société civile. Nous avons déjà un fort intérêt de la part d’un large éventail de partenaires, dont plusieurs gouvernements et des organisations de premier plan telles que l’UNICEF, la Fondation Gates, le CIFF et des ONG clés.
Le Forum de la paix de Paris est particulièrement bien placé pour réunir ces acteurs, et notre méthode a été de les intégrer dans un processus structuré : un groupe de travail pour fournir des orientations politiques, un sous-groupe technique pour ancrer le cadre dans des méthodologies de mesure rigoureuses, et une coalition du secteur privé pour mobiliser les engagements. En somme, nous tissons trois courants : la volonté politique, la crédibilité technique et la mobilisation des parties prenantes, en un tout cohérent.
Les progrès sont soutenus. Le travail technique pour définir le bien‑être de l’enfant et établir un ensemble d’indicateurs fiables est en cours, et les premières ébauches d’une éventuelle déclaration conjointe se dessinent lors des réunions du Groupe de travail. Ce n’est pas un exercice théorique : c’est un processus participatif conçu pour construire un consensus, une légitimité et des résultats concrets.
3. Quels résultats espérez-vous obtenir avec ce cadre, sous la présidence française du G7 et au-delà ?
Notre objectif est simple mais ambitieux. Tout d’abord, nous visons à élaborer une déclaration conjointe sur le bien-être de l’enfant à présenter au G7, qui élève les enfants au rang de priorité stratégique centrale, non seulement pour 2026 mais aussi pour la décennie à venir. Ce serait déjà une réussite majeure en soi, signalant un engagement renouvelé envers le développement humain à une époque où la coopération mondiale est sous pression.
Deuxièmement, nous souhaitons établir un cadre de mesure partagé qui aide les pays et les décideurs à suivre les progrès en utilisant un ensemble d’indicateurs existants, robustes et comparables. Si vous ne pouvez pas mesurer le bien-être de l’enfant, vous ne pouvez pas l’améliorer de manière ciblée. Ce cadre offrira aux décideurs un outil pour identifier les lacunes, prioriser les investissements et apprendre de leurs pairs.
Troisièmement, nous prévoyons de mobiliser un réseau de partenaires, y compris le secteur privé, pour assurer une continuité au-delà du sommet. Le G7 est un moment politique : le Cadre vise à garantir un impact durable.
Enfin, le résultat que nous recherchons n’est pas un communiqué supplémentaire, mais un changement de perspective : investir dans les enfants n’est pas une dépense sociale – c’est un impératif stratégique. Si le G7 peut ancrer cette idée et la soutenir avec des outils concrets et des engagements, nous aurons renforcé non seulement le développement humain mais aussi la stabilité mondiale elle-même.

