Skip to main content

La voix des expert.e.s : entretien avec Sharlen Sezestre, responsable du plaidoyer international au mouvement français Planning Familial

By 25 mars 2021juin 13th, 2023No Comments

EssentiELLES #2 

 

Sharlen Sezestre est responsable du plaidoyer international au mouvement français Planning Familial. Elle revient ici sur les problématiques socio-culturelles qui empêchent l’accès des femmes ret des filles aux services de contraception et d’avortement, et aborde l’intérêt de mettre en place une éducation complète la sexualité pour sensibiliser et informer les jeunes sur leur santé.  

En quelques mots, pouvez-vous vous présenter, présenter le Planning familial et son implication dans le Forum Génération Égalité ?  

Je suis Sharlen Sezestre, Responsable du plaidoyer international au Mouvement français Planning Familial. Le Planning Familial est un mouvement féministe et d’éducation populaire qui milite depuis plus de 65 ans pour les droits des femmes, l’égalité de genre et pour l’accès des populations à leur droits sexuels et reproductifs. Nous sommes par ailleurs membres de l’International Planned Parenthood  Federation,  afin de mener un plaidoyer fort et concerté dans les instances multilatérales pertinentes et de  travailler à l’amélioration des  cadres politiques et juridiques internationaux impactant les droits des femmes et des personnes LGBTQI. Nous visons une transformation sociale en profondeur. 

Cette année le FGE représente une réelle opportunité pour les États et la communauté internationale de réaffirmer leurs engagements en faveur de l’émancipation des femmes et de prendre des mesures ambitieuses et concrètes en faveur des DSSR dans le cadre de la coalition d’action qui leur est dédiée. Afin de nous en assurer, le planning s’est fortement mobilisé dans le cadre de cette coalition d’action multi acteurs.rices. Représentant l’IPPF, le Planning Familial y participe et y défend une approche globale des DSSR qui intègre le droit à l’avortement, à la contraception et à l’éducation complète à la sexualité, et basée sur les droits et les choix des personnes. 

Selon vous, quelles sont les principales barrières socio-culturelles qui empêchent encore aujourd’hui les femmes et les filles d’accéder aux DSSR ? 

La reconnaissance des DSSR a fait l’objet de combats politiques et de mobilisations importantes de la société civile, particulièrement des associations féministes et des mouvements LGBTQI+ et font encore l’objet aujourd’hui de vives controverses pour des raisons d’ordre social, culturel et religieux. Ceci s’explique en grande partie au fait qu’ils touchent à des représentations collectives encore très ancrée sur le contrôle du corps des femmes et leur assignation à un rôle procréatif par exemple et qu’ils mettent en lumière les rapports de domination qui existent entre les femmes et les hommes, mais aussi entre les genres. C’est par exemple l’idée selon laquelle la sexualité, à fortiori des femmes et des adolescentes, n’existe qu’à des fins procréatives (en dehors de toutes notions de bien être, de désir, de consentement, de plaisir), et n’a lieu que dans le cadre d’un couple, marié, hétérosexuel…

Ces barrières socioculturelles vont donner lieu à l’adoption de légistations restrictives et/ou criminalisant l’accès à la planification familiale, à l’avortement, retreignant l’éducation complète à le sexualité, mais aussi les droits des personnes LGBTQI+ etc.

Quelles sont les conséquences de la persistance de ces barrières sur la santé des femmes et des filles et sur leur capacité à accéder à l’information dont elles ont besoin ?

Les conséquences de ces barrières sont particulièrement néfastes pour la santé des femmes et des filles et nuisent à leur émancipation. Dans les pays restreignant fortement les DSSR, elles vont se voir privées d’accès à des informations complètes fiables et non jugeantes dont elles ont besoin pour faire des choix pour elles-mêmes et leur avenir. Elles vont également se retrouver privées d’accès à des soins et à des services de santé sexuelle et reproductifs, tels que l’accès à des méthodes contraceptives ou à l’avortement, les contraignant à poursuivre des grossesses qu’elle ne désirent pas, ou des grossesses à risques et les amenant à prendre des risques pour leur vie et leur santé.  

Ces enjeux sont particulièrement prégnants dans le contexte ouest-africain. La région concentre un fort taux de grossesses non désirées, de morbidité et de mortalité materno-infantile, car les femmes et les filles rencontrent d’importants freins à l’exercice de leurs droits sexuels et reproductifs. 

Mais l’Afrique est loin d’être le seul continent concerné par ces enjeux. En Europe, les mouvements anti-choix et les gouvernements conservateurs travaillent activement à restreindre l’accès à ces droits. 

Pouvez-vous expliquer ce qu’est l’éducation complète à la sexualité (ECS) et en quoi il s’agit d’une approche particulièrement pertinente pour lutter contre les barrières que vous évoquiez ? 

L’ECS permet d’agir sur tous les déterminants des DSSR, en questionnant les rapports sociaux de sexe, les stéréotypes de genre, et en travaillant sur les représentations qui génèrent des inégalités. Elle ne se limite pas à une approche sanitaire. Elle englobe non seulement les questions liées à la santé sexuelle et reproductive, à l’anatomie, mais aussi aux droits des populations qui font face à de multiples discriminations (personnes LGBTQI+ notamment). Elle contribue à la prévention et à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes (en abordant les enjeux de consentement, les violences physiques, sexuelles, verbales ou psychologiques, les mutilations sexuelles, les mariages forcés, etc.) et contre les maladies sexuellement transmissibles. Ces sessions d’éducation à la sexualité ont pour but de donner des informations fiables et adaptées dès le plus jeune âge et d’amener les jeunes à pouvoir faire des choix éclairés, en fonction de là où ils.elles en sont en s’appuyant sur les standards de l’OMS, UNESCO et UNICEF….

Parce qu’elle interroge les rapports inégaux de genre et ouvre le champ des possibles, l’ECS est un maillon incontournable pour aider les jeunes à se construire, à s’autonomiser et à faire leurs propres choix, dans le respect d’autrui.

Pouvez-vous nous donner des exemples d’actions mises en œuvre en ce sens par le Planning Familial pour atténuer ces contraintes et améliorer l’accès à l’information et aux soins en matière de santé sexuelle et reproductive ?

Le Planning familial anime depuis les années 1970 des séances d’éducation à la sexualité (dans les écoles, les collèges, les lycées, les Maisons familiales et rurales, les Centres de formation des apprentis, les Instituts médico-éducatifs), et forme les professionnel.le.s de santé, de l’éducation, des agents de santé communautaire à cette discipline à travers une approche par les droits.

Parce que la vie sexuelle et affective des plus jeunes et des adolescent.e.s fait l’objet de beaucoup de spéculations et de tabous, le Planning a développé différents supports et référentiels expliquant et sensibilisant les parents et les enseignant.e.s sur la nécessité de promouvoir une telle éducation. 

Des techniques et outils d’animation variés et efficaces peuvent être utilisés : créés des espaces de parole basés sur la confiance, le non-jugement et la confidentialité, qui permettent à chaque participant.e de poser ses questions, d’écouter et de s’exprimer devant les autres, d’échanger et discuter à partir de photos, vidéos, ouvrages de la littérature jeunesse, « arbre du genre », « jeu de la ligne », théâtre forum, etc.

Ce qui est intéressant c’est que toutes ces approches développées par nos intervenant.e.s – élaborées au départ de façon empirique en s’appuyant sur l’analyse collective des situations et des pratiques de terrain – sont aujourd’hui confortées par les organisations internationales (OMS – Unesco), qui confirment l’importance de l’approche globale de l’éducation à la sexualité.

Qu’est-ce que vous attendez de la France, en tant que championne de la coalition d’actions DSSR, lors du Sommet du Forum Génération Égalité sur ces questions ? 

Dans ce contexte international marqué par la forte remise en question de ces DSSR, notamment dans un contexte de COVID, nous sommes ravies que la France assume ce rôle de championne de la coalition. Nous attendons qu’elle fasse progresser significativement ces droits.  Cela doit se traduire selon nous par l’adoption de nouveaux engagements internationaux en la matière, assortis de mesures financières fortes à la hauteur des besoins. Nos organisations demandent un doublement des financements alloués aux DSSR, accompagné d’un ciblage précis vers une approche holistique du sujet. Nous souhaitons que la France :

  • Promeuve une approche globale et complète des DSSR (telle que définie par la Commission Guttmacher-Lancet) ; en insistant sur le renforcement de l’accès à la planification familiale et la libéralisation de l’accès à l’avortement ; insiste sur la participation des jeunes, et notamment des adolescentes ; co-construive avec les associations féministes les politiques publiques en matière de DSSR et d’égalité femmes-hommes ; favorise les approches transformatives, et plus spécifiquement l’éducation complète à la sexualité (ECS) comme levier d’action prioritaire.
  • Renforce l’environnement politique et légal pour un accès universel et complet aux DSSR 
  • Assure un financement national et international durable qui donne pleinement accès aux services essentiels de santé sexuelle et reproductive. Accroisse les financements alloués aux mouvements féministes ; intensifie l’implication des États dans les initiatives régionales et internationales en faveur des DSSR ; maximise l’impact des fonds multilatéraux en améliorant l’intégration de l’approche DSSR et en y associant des moyens financiers.