Entretien avec Friederike Röder, directrice du secrétariat de la Global Solidarity Levies Task Force. Lancée en 2023, lors de la COP28, sous l’impulsion de la Barbade, de la France et du Kenya, la Global Solidarity Levies Task Force explore de nouvelles pistes de prélèvements pour permettre à tous les pays d’atteindre les Objectifs de développement durable et de respecter les engagements de l’Accord de Paris. Avant de rejoindre cette Task Force, Friederike Roder était engagée au sein de l’ONG Global Citizen. Elle avait également travaillé avec des organisations comme ONE, l’OCDE, l’Union africaine, le gouvernement allemand et l’Arab Reform Initiative.
1. Quel est l’état actuel des discussions internationales sur les taxes affectées ? Quels enjeux politiques, juridiques ou budgétaires pèsent sur leur mise en œuvre et sur la possibilité de les affecter à des biens publics mondiaux ?
Il y a deux ans, se tenait à Paris le Sommet pour un Nouveau Pacte financier, à la suite duquel est né le Pacte de Paris pour les peuples et la planète. A cette occasion, le Président Emmanuel Macron a déclaré, devant la communauté internationale, qu’un “choc de financement” était indispensable pour qu’aucun pays n’ait à choisir entre son développement et la protection de la planète. Cette déclaration a conduit à réexaminer les taxes solidaires – des prélèvements qui permettent de lever de nouvelles ressources pour le développement et la lutte contre le changement climatique.
Deux années se sont écoulées depuis ce Sommet et la situation internationale a beaucoup évolué. Le déficit de financement s’est aggravé, en raison de la réduction globale de l’aide publique au développement et de l’accroissement de l’endettement des pays les plus vulnérables. En parallèle, le contexte géopolitique s’est dégradé à travers une multiplication des crises et des conflits. Les pays les plus pauvres ont un besoin encore plus urgent de financements concessionnels.
Face à cette nouvelle réalité, le recours aux taxes solidaires devient plus indispensable que jamais pour lutter contre les inégalités, financer le développement des pays les plus pauvres et répondre à l’urgence climatique. D’autant plus que nous savons qu’il est possible d’avancer. L’accord international récent sur le transport maritime en est la preuve. Nous savons également aujourd’hui, qu’un accord international – plus difficile à obtenir – n’est pas nécessaire, une coalition d’Etats volontaires suffirait à ce que soit mis en place à l’échelle internationale des taxes solidaires dans des secteurs tels que l’aviation ou les transactions financières.
Il n’existe aucun obstacle juridique à la mise en place des taxes solidaires, l’enjeu est purement politique. D’ailleurs, de nombreux pays à travers le monde ont déjà des taxes sur les billets d’avion ou sur les transactions financières, c’est le cas de la France. Coordonnées au niveau international, ces taxes ont un potentiel de revenu immense. Apparaît alors le second enjeu : garantir que le revenu de ces taxes soit dirigé vers le financement des défis mondiaux. C’est tout à fait possible. Certains pays le font déjà. Jusqu’à très récemment, la France finançait une partie de son aide publique au développement grâce à une part des recettes de ses taxes sur les billets d’avion et sur les transactions financières. D’autres pays, notamment les plus vulnérables, ont fait le choix de diriger les recettes de leurs taxes solidaires vers le financement du développement et du climat à l’échelle nationale. C’est le cas des Îles Fidji qui utilisent les revenus de leur taxe sur les billets d’avion pour financer la préservation de la biodiversité locale.
2. Quel est le rôle de la France dans les discussions internationales sur les taxes solidaires ?
Depuis de nombreuses années la France est pionnière en matière de fiscalité innovante. En 2005, il y a plus de 20 ans, aux côtés du Président Brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, le Président Jacques Chirac lançait une taxe sur les billets d’avion afin de financer Unitaid – un mécanisme international qui permet aux pays à revenu faible ou intermédiaire d’accéder à des produits de santé de qualité et abordables. En 2015, il y a presque 10 ans, la France accueillait la COP21 qui a permis à l’Accord de Paris pour le climat de voir le jour.
En 2023, il y a deux ans, la France accueillait à Paris le Sommet pour un Nouveau Pacte Financier et lançait, lors de la COP28, aux côtés de Mia Mottley, Première ministre de la Barbade, et de William Ruto, Président du Kenya, la Global Solidarity Levies Task Force.
C’est un héritage conséquent. Nous espérons qu’après 2005/6, 2015 et 2023, 2025 sera l’année où la France sera de nouveau au rendez-vous pour lancer une nouvelle taxe encore plus ambitieuse, progressive et solidaire.
L’appui de la France est précieux car, outre son héritage, le pays dispose d’une force diplomatique considérable. Ainsi, si la France fait une annonce en faveur des taxes solidaires à Séville, lors de la 4ème Conférence internationale sur le financement du développement, nous pouvons pleinement espérer qu’une grande coalition de pays se sera formée d’ici la COP de Belem en faveur d’au moins une forme de taxe solidaire. Ce leadership français pourra également être renforcé lors de l’accueil du prochain G7 en 2026.
3. Quelles sont les prochaines échéances à l’échelle internationale ? Qu’attendez-vous de la 4ème conférence internationale sur le financement du développement ?
2025 est une année importante pour les financements solidaires. Dans quelques jours se déroulera à Séville la 4ème Conférence internationale sur le financement du développement. A l’automne, les Etats se réuniront à nouveau pour COP30 à Belem. Nous espérons qu’une dynamique politique se formera à l’occasion de ces deux rendez-vous, en vue :
- De l’annonce de la création d’une coalition de pays volontaires sur une taxe solidaire, notamment sur l’aviation, incluant les jets privés, dans le but de financer l’adaptation au changement climatique et le renforcement des systèmes de santé dans les pays les plus vulnérables. Plusieurs options sont envisageables : la taxation des passagers pour les vols commerciaux et la taxation du kérosène, des passagers ou des émissions carbone pour les jets privés. L’objectif pour le secrétariat de la Global Solidarity Levies Task Force est que les pays se coordonnent sur des critères communs pour cette taxe – notamment afin de lever des fonds – tout en restant libres d’adapter la taxe à leurs réalités nationales, et se mettent d’accord sur les secteurs qui seront financés, notamment à travers des mécanismes déjà existants comme Unitaid.
- Du lancement d’appel politique afin d’encourager d’autres Etats à rejoindre la coalition existante et à continuer le travail sur d’autres taxes, notamment des taxes sur les transactions financières, les énergies fossiles ou le plastique.
A cette fin, le secrétariat de la Global Solidarity Levies Task Force a prévu de lancer deux initiatives à l’occasion de la Conférence de Séville :
- Des principes sur l’utilisation des revenus des taxes solidaires : l’objectif est que les pays se mettent d’accord sur les domaines vers lesquels ils souhaitent diriger les revenus des taxes solidaires au niveau national ou international. Afin de nourrir les négociations entre Etats, la Task Force a lancé une consultation publique.
- Un travail sur les mécanismes d’allocation des fonds : nous ne souhaitons pas créer de nouveau mécanisme pour récolter les recettes des taxes mais les diriger vers une organisation ou un fonds qui existent déjà. Dans cet objectif, le secrétariat lancera un appel à projets auprès des organismes existants pour voir ce qu’il est possible de faire en termes de reporting, de décaissements … Grâce aux réponses des organisations et des fonds, nous serons en mesure de faire des propositions concrètes aux gouvernements avant la COP30.