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Il est temps d’accorder aux personnes atteintes de tuberculose le respect qu’elles méritent, c’est-à-dire le droit à la vie et à la santé. Et cela commence par des investissements pour leur donner accès à ces droits humains.

By 24 mars 2022juin 13th, 2023No Comments

Entretien avec Rhéa Lobo, survivante  de la tuberculose extra-pulmonaire et membre du conseil d’administration du Partenariat international Stop TB. Rhéa a suivi une formation de journaliste avec une spécialisation en santé. Elle est également cinéaste de renommée internationale.

1. Vous avez été personnellement touchée par la tuberculose et vous consacrez votre travail à la lutte contre cette maladie. Pourquoi ce combat est-il encore important aujourd’hui ?

Aujourd’hui, nous sommes confrontés aux mêmes enjeux autour de la tuberculose que lorsque j’ai attrapé la maladie en 2008. C’est très frustrant car je me demande si nous faisons réellement des progrès. Les raisons pour lesquelles il manque de nouveaux outils restent les mêmes : il n’y a pas assez de volonté politique, d’engagements financiers (que ce soit dans les vaccins, les diagnostics ou les médicaments) et de prise de responsabilité sur ces enjeux. Nous utilisons toujours un vaccin développé il y a 100 ans, qui se trouve être inefficace pour prévenir la tuberculose. Il y a également énormément d’erreurs de diagnostic. Le traitement contre la tuberculose continue d’être long, avec des effets secondaires qui affaiblissent les patient·e·s et nous manquons toujours d’informations sur le traitement et les services de soutien des personnes malades. En 50 ans, nous avons seulement obtenu quelques nouveaux médicaments, comment cela peut-il être acceptable ?

2. A votre avis, comment la pandémie du Covid-19 a impacté la lutte contre la tuberculose ?

Le COVID-19 a eu un impact considérable sur la lutte contre la tuberculose et a mis à mal les progrès que nous avions obtenus ces dix dernières années. Les décès dus à la tuberculose ont augmenté pour la première fois depuis 10 ans pour atteindre 1,5 million en 2020. La même année, les campagnes de sensibilisation ont considérablement diminué, entraînant une diminution du nombre de personnes ayant accès aux soins nécessaires contre la maladie. Selon le Rapport mondial sur la tuberculose publié par l’Organisation mondiale de la santé (Global tuberculosis report 2021, disponible en anglais), 9,9 millions de personnes sont tombées malades de la tuberculose en 2020, mais seulement 5,8 millions de personnes ont eu accès à des soins en 2020 (contre 7,1 millions de personnes qui ont eu accès à des soins antituberculeux en 2019). Cela signifie donc que nous avions près de 4,1 millions de personnes non diagnostiquées en 2020. 

Les infrastructures de soin, les machines de diagnostic mais aussi les médecins soignant la tuberculose ont été véritablement réquisitionnés pour répondre aux contaminations de COVID-19. Aujourd’hui, alors que la communauté internationale semble se mobiliser sur l’importance de mieux se préparer aux futures pandémies, engageant ainsi de nouvelles discussions et de nouvelles ressources financières à cet effet, la lutte contre les pandémies existantes comme celle de la tuberculose n’est plus du tout à l’agenda des discussions internationales. Dans ce sens, la tuberculose est absente du dialogue international essentiel sur la résistance aux antimicrobiens (RAM), bien qu’elle soit l’une des principales causes de décès par RAM. La lutte contre la tuberculose a beaucoup souffert depuis le début de la pandémie en 2020 et il est grand temps qu’elle soit sérieusement prise en compte dans les réponses à cette crise. 

3.   Selon vous, quel est le rôle du Fonds mondial dans la lutte contre la tuberculose et comment sa nouvelle stratégie peut-elle contribuer à intensifier cette lutte ?

On ne soulignera jamais assez l’importance du Fonds mondial dans la lutte contre la tuberculose : c’est le plus grand bailleur de fonds de lutte contre cette maladie. Toutefois, si l’on analyse la réponse financière du Fonds Mondial dans la lutte contre la tuberculose, celle-ci ne permet de répondre qu’à la moitié des besoins estimés en matière de riposte durable contre la persistance de cette maladie. Les financements mobilisés, bien qu’essentiels, restent donc insuffisants.

D’après la nouvelle stratégie du Fonds mondial, adoptée pour la période 2023-2028, la part allouée à la lutte contre la tuberculose ne représente que 18 % des ressources du Fonds mondial, à savoir près de 12 milliards de dollars. C’est inacceptable car la tuberculose est la maladie qui reçoit la plus petite enveloppe financière du Fonds mondial, alors que les décès dus à la tuberculose représentent 60% des décès totaux des trois maladies (VIH/sida, tuberculose et paludisme). Je trouve cela très injuste – la société civile militant pour l’accès aux soins contre la tuberculose réclame depuis longtemps que les ressources allouées à la lutte contre cette maladie passe de 18% à au moins 33% de l’enveloppe globale du Fonds mondial. Nous avons besoin d’un Fonds mondial solide pour soutenir de manière juste la lutte contre la tuberculose et nous avons également besoin de mécanismes de financements innovants pour combler d’autres lacunes existantes dans la lutte contre cette maladie, par exemple dans les investissements de R&D sur la tuberculose.

4. Quels sont les changements à engager pour que la tuberculose ne soit plus une menace pour la santé mondiale d’ici 2030 ? Avez-vous des recommandations à adresser aux dirigeants mondiaux ?

Si je n’avais qu’une recommandation à adresser, cela serait : J’attends des dirigeants mondiaux qu’ils témoignent de leur engagement dans la lutte contre cette maladie en investissant à la hauteur des enjeux pour y mettre fin. Nous avons un besoin urgent de ressources financières, autant pour la mise en œuvre que pour le développement de nouveaux outils en matière de vaccins, de diagnostics et de médicaments. Ces ressources sont essentielles pour poursuivre la lutte contre la tuberculose et l’éradiquer d’ici 2030. Aujourd’hui nous sommes très loin des engagements mondiaux de financement pris lors du Sommet des Nations unies sur la tuberculose en 2018. A l’époque, nous avions appelé à la modeste contribution de 2 milliards de dollars par an pour financer TOUS nos besoins en matière de recherche. Résultat : nous n’avons même pas reçu la moitié de cette somme d’après les Tendances du financement de la recherche sur la tuberculose 2005-2020 (Tuberculosis Research Funding Trends 2005-2020, disponible en anglais).

J’ai tout de même quelques espoirs en ce qui concerne les négociations du G20, pour que l’on obtienne des engagements politiques et financiers grâce au leadership des Etats. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2020, le COVID-19 a tué 1,7 million de personnes et la tuberculose a tué 1,5 million de personnes. Ces deux maladies sont les principales causes de mortalité infectieuse dans le monde. Il est temps d’accorder aux personnes atteintes de tuberculose le respect qu’elles méritent et le droit à la vie comme le droit à la santé. Et cela commence par des investissements pour lutter durablement contre cette maladie.