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La voix des expert.e.s : entretien avec Amadou Yéri Camara, Médecin Chef de Région (MCR), à Sédhiou au Sénégal

By 25 mars 2021juin 13th, 2023No Comments

EssentiELLES #2 

 

 

Amadou Yéri Camara est médecin de santé publique, et veille à la coordination des activités de santé au niveau des régions. Il revient ici sur les barrières socio-culturelles qui continuent d’entraver l’accès des femmes et des filles à l’information sur leur santé sexuelle et reproductive et aux soins dont elles ont besoin. Dans le cadre de cet entretien, il est interrogé par Mylène Loridan, chargée de programmes et de partenariats à Amref Health Africa. 

 

Quel est votre rôle dans l’écosystème de la région ? 

Notre rôle est principalement d’agir sur la lutte contre la mortalité maternelle et infantile, la lutte contre les mutilations génitales féminines et contre les mariages précoces. Ces derniers sont à l’origine de grossesses précoces, avec des conséquences graves comme des complications liées au manque de suivi prénatal et au manque d’information et de sensibilisation sur la grossesse. 

Dans le cadre de cet objectif, nous avons mis en place des « espaces ado » au sein des postes de santé régionaux. Ces espaces sont une déclinaison du ministère de la Santé pour faciliter l’accès aux services de prise en charge et la mise en place d’activités de sensibilisation auprès des jeunes.

Les jeunes se rendent peu dans les hôpitaux. Cela s’explique par plusieurs facteurs : un manque d’information sur les structures, le besoin de confidentialité et le manque de moyens financiers. C’est pour cela que le suivi et les consultations atteignent peu les jeunes, qui ont recours aux structures médicales uniquement en cas d’urgence. 

Le besoin de confidentialité est très problématique. Cela peut être mal perçu que des jeunes aient recours à des structures médicales à même de leur fournir des préservatifs et de les informer en matière de santé sexuelle et de planification familiale. Il faut absolument rendre ces centres plus accessibles et permettre aux jeunes une forme d’anonymat pour qu’ils se sentent en confiance. Ainsi, ils n’auront plus à contourner ces centres par peur de croiser un parent lorsqu’ils recherchent un renseignement ou des préservatifs.

C’est pour cela que le ministère de la Santé veut rendre ces centres attractifs, en y créant par exemple des cyber-espaces, en repensant l’aménagement et l’accès à ces espaces pour permettre aux jeunes d’y accéder plus discrètement et en veillant dans la mesure du possible à leur gratuité. L’adaptation de ces structures aux besoins et aux attentes des jeunes est au cœur du projet. Il y a ainsi tout un travail de communication à entamer pour dynamiser ces centres.  

Combien y-a-t-il d’« espaces ado » dans la région de Sédhiou? 

Dans le district de Bounkiling, quatre espaces sont opérationnels, mais nous comptons en aménager quatre supplémentaires dans le cadre du projet DEVENIR. À Sédhiou et à Goudomp, il est prévu d’en avoir cinq par district. Les commandes de matériel ont été lancées et l’aménagement des espaces ados a commencé  mi-février. Nous avons également besoin d’animateurs et comptons les former parmi les jeunes pour être au plus près des communautés. 

Le personnel des centres de santé sera formé aux questions de santé des adolescents ? 

Oui, il y a deux modules, « Connaître son avenir » et « Grandir en harmonie », développés par le ministère de Santé pour la formation des équipes cadres. Ce sont des formations d’une semaine, basées sur la psychologie de l’enfant, sur le développement, sur les besoins des enfants et des jeunes… La capacité de formation du personnel est renforcée grâce au  ministère de la Santé, qui envoie des formateurs et des formatrices dans les régions pour qu’ils forment eux-mêmes d’autres formateurs, à qui ils délèguent leurs compétences. Ce sont ensuite les équipes des régions qui forment celles des districts. 

Quels sont les principaux freins à la santé maternelle et infantile ? 

La première difficulté, c’est l’accessibilité aux services. Sédhiou, c’est un grand village, mais il y a peu d’infrastructures et on a  beaucoup de difficultés à retenir le personnel qui préfère travailler en ville. Les femmes doivent faire beaucoup de chemin pour avoir accès aux services. 

Mais il y a aussi des facteurs culturels. La grossesse reste un tabou dans notre société, les femmes cachent parfois leur grossesse et ne consultent que tardivement, au deuxième voire au troisième trimestre. Elles préfèrent attendre avant de déclarer une grossesse. Ainsi, la perspective d’un avortement reste possible à leurs yeux tant que leur grossesse est secrète. C’est leur manière de conserver une marge de choix. 

Avec le nouvel hôpital, on veut vraiment miser sur la modernisation des structures et sur un équipement de bonne qualité pour inciter le personnel médical à rester. Il n’y a pas un seul médecin réanimateur dans la région. Pour les cas d’urgence, il faut transférer les patients à Ziguinchor, voire à Dakar. Avec ce nouvel hôpital, on espère pouvoir bénéficier d’affectations de médecins réanimateurs dont on manque cruellement dans les régions. Puisqu’ils sont sous-payés par l’Etat, ils préfèrent travailler à Dakar, en ONG ou au niveau international et ne voient pas l’intérêt économique de travailler en brousse. Il est nécessaire de trouver des moyens pour attirer ces médecins durablement et faciliter leurs déplacements.

Malgré tout cela, le personnel présent ici reste très dévoué. La région est parvenue à de beaux résultats, et on a vu germer beaucoup d’initiatives régionales et les partenariats sont solides. Lorsque la Covid est arrivée, l’OMS et Amref nous ont soutenu tant sur le plan technique que financier. Des médecins des villes sont venus soutenir les effectifs de Sédhiou.