Entretien avec Nina Schwalbe, PDG et fondatrice de Spark Street Advisors et chercheuse principale au Centre de politique et de gouvernance de la santé mondiale de l’Université de Georgetown.
1. La question n’est plus de savoir si le monde risque de connaître une nouvelle pandémie, mais plutôt quand. Pensez-vous que nous sommes désormais mieux préparés qu’en 2019 ?
Oui et non, mais surtout non. L’une des principales leçons tirées de la COVID-19 était qu’il n’existait pas de mécanisme collectif significatif pour y répondre.
Du côté positif, nous avons désormais un Accord mondial sur les pandémies. Les pays se sont réunis pour réfléchir à comment faire mieux la prochaine fois. Et en raison de nombreuses défaillances exposées pendant la Covid-19, ils ont amélioré le Règlement Sanitaire International, qui définit comment chaque pays doit réagir lorsqu’il détecte un agent pathogène susceptible de se propager à l’international. Ce règlement révisé, ainsi que le traité, nous rendent définitivement plus préparés.
Mais ce n’est pas suffisant. La réponse sanitaire publique a échoué pendant la COVID-19. En plus du nombre de morts, les économies ont souffert, les gens ont souffert, les enfants ont été exclus de l’école. Sur ces aspects, nous ne sommes pas mieux préparés qu’à l’époque de la Covid-19.
Et dans certains domaines, nous sommes dans une situation plus défavorable. Dans tous les pays, les gens se méfient désormais des décideurs en santé publique en général, et des scientifiques en particulier. Ils se tournent de plus en plus vers Internet pour obtenir des informations sur la santé. Ma plus grande crainte, c’est que la prochaine fois, les gens ne croient tout simplement pas la science. Le mouvement anti-science nous rend nettement moins préparés.
Et enfin, concernant le « non » : l’engagement financier diminue, affaiblissant les trois institutions les plus cruciales pour la préparation, la prévention et la réponse aux pandémies (la PPR) : le Fonds mondial, Gavi et l’OMS. Le récent renouvellement du Fonds mondial n’a atteint que 60 % de son objectif : 11 milliards de dollars sur 18 milliards. Cette institution a presque à elle seule réduit la transmission mondiale et transformé le VIH d’une condamnation à mort à une affection maîtrisable. Le sous-financement du Fonds mondial est un grave recul. Le G7 a également manqué à ses responsabilités envers Gavi, qui n’a pas non plus atteint ses objectifs de reconstitution, malgré son statut d’institution de première ligne pour la PPR. Et l’OMS est sous le choc du retrait des États-Unis, aucun autre pays n’ayant pris la relève.
2. En tant que Présidente du G7, quelle initiative la France pourrait-elle mener pour améliorer notre réponse collective aux pandémies ?
La France a une histoire impressionnante en lien avec cette question : elle a favorisé la création du Fonds mondial et d’Unitaid, et a défendu une taxe de solidarité aérienne pour financer les réponses aux maladies infectieuses. La taxe sur les compagnies aériennes était brillante : elle reconnaissait que dans un monde interconnecté, le voyage propage des agents pathogènes. La France a également été l’un des premiers pays à nommer un ambassadeur du sida. Ces exemples illustrent le type de leadership que la France a fourni et peut à nouveau fournir. Dans ce contexte, il existe des priorités à court terme que le G7, sous la direction de la France, pourrait défendre.
La France pourrait, par exemple, accélérer la ratification du Traité sur les pandémies. Pour aller de l’avant, les pays doivent encore s’accorder sur une annexe contenant quelques détails opérationnels (partage des données de séquençage des pathogènes et du génome, accès équitable aux vaccins, médicaments et diagnostics). Oui, 2 pays ont choisi de se retirer des négociations, mais 192 pays ont désormais la possibilité de faire ce qui est juste. Ils se tournent vers le G7, car c’est là que résident les capacités d’action et de financement. La France pourrait mener cette initiative en étant parmi les premiers pays à le ratifier.
Un autre domaine d’action pourrait être le “One Health” ou approche “Une seule santé” : l’interaction entre les personnes, les animaux et l’environnement. La France est bien placée pour défendre cette question en tant qu’acteur de référence dans l’élevage, l’agriculture et la santé publique.
Le prochain grand enjeu est le rôle de l’industrie. Lorsque les gouvernements financent le développement de technologies médicales, ces produits devraient être accessibles à prix coûtant pour le public qui les a financés. Il est du devoir des gouvernements de veiller à ce que la science financée par des fonds publics profite au public. La France pourrait adopter une position de premier plan sur cette question.
Et bien sûr, le financement. Nous ne pouvons pas revenir aux niveaux de 2012, simplement parce que le monde a changé et est devenu plus complexe. Nous avons besoin de plus d’investissements, pas moins. Un programme de financement mené par la France enverrait un message puissant.
3. Compte tenu de la baisse des niveaux d’Aide Publique au Développement et des appels croissants à d’autres sources de financement (ressources nationales, engagement du secteur privé, etc.), comment la France pourrait-elle convaincre les partenaires du G7 de continuer à investir dans la santé mondiale comme bien public ?
La COVID-19 a montré que la santé publique n’est pas un défi national mais bien un défi mondial. C’est pourquoi la santé mondiale est un bien public mondial. Aucun pays ne peut s’en sortir seul.
Et soyons clairs : lorsque nous parlons de mobilisation des ressources domestiques, ce que nous entendons souvent en pratique, c’est le transfert des coûts sur les ménages. Dans la plupart des pays, ce sont déjà les individus qui supportent la plus grande part des coûts de santé : les dépenses à la charge des patient.e.s, les congés pris sur le temps de travail, les obstacles à l’accès aux soins. Les citoyens devraient supporter encore plus ? Si les gouvernements abandonnent leur responsabilité de protéger leurs populations, quel rôle leur reste-il ?
Mais il n’est pas nécessaire de réinventer la roue. Il existe des institutions qui fournissent déjà ces biens publics mondiaux pour la PPR, notamment le Fonds mondial, Gavi et l’OMS. La France pourrait montrer l’exemple avec son propre engagement ambitieux et défier ses pairs à l’égaler. Ce type de financement catalytique fonctionne. Quand une grande économie mène, d’autres suivent.
La France a l’opportunité de retrouver son rôle de leader mondial en santé. Et le leadership compte. Grâce au leadership de la France sur le VIH, des millions de personnes peuvent désormais mener une vie saine, avoir des rapports sexuels en toute sécurité et fonder des familles sans peur. La prévention et le traitement existent. Sommes-nous prêts à dire « bon retour, VIH » ? J’espère que la réponse sera non. Mais cela nécessite du leadership, et du financement, de la part de la France et de ses partenaires du G7.

